Mes livres
La saga amicale
Les héroïnes du quotidien
Au loin grondait l'orage (2024)
De 1905 jusqu’à la veille de la Grande Guerre, les destins de femmes et d’hommes de toutes origines sociales se croisent. Un lien les unit, leur appartenance à une même terre, la Corrèze.
Dans ce début de siècle bouillonnant, entre progrès et traditions empesées, les secrets des unes et des autres sont à l’origine de bien des renoncements mais se révèlent également de puissantes racines protectrices.
Reflet de l’engagement de l’auteure auprès de ses consœurs, la part belle est faite aux femmes, puissantes et solidaires entre elles, dans un monde largement dominé par les hommes.
Au loin grondait l’orage est non seulement mon neuvième roman mais aussi le troisième volet d’une série que je me plais à appeler « Les héroïnes du quotidien » amorcée avec Comme une colombe en plein vol. Ces récits, profondément ancrés dans la terre limousine, mettent en pleine lumière des femmes du peuple, ordinaires, qui triment sang et eau pour sortir de leur rôle conventionnel. Chaque opus est un hommage à ces femmes travailleuses toujours laissées dans l’ombre par l’Histoire et les hommes qui l’ont écrite et s’inscrit dans la quête de leur émancipation au fil du temps.
Extrait N°1
1905 – À Paris
Avec une satisfaction mitigée et sans empressement inutile, Germain ajusta à son bras droit la médaille carrée qu’on venait de lui remettre. La breloque remplacerait celle de l’an passé, en forme de losange,sur laquelle était gravé le numéro d’ordre relevé sur un registre.ouvert à cet effet à l’inspection des halles et marchés. Il pourrait ainsi assurer sa subsistance une année durant en toute légalité sur le Carreau en aidant au déchargement des marchandises sous la houlette rigoureuse des forts qui en assuraient la circulation entre l’extérieur et les douze pavillons Baltard qui formaient les Halles. Volailles et gibiers, beurres et œufs, viandes, fruits et légumes passaient donc indifféremment selon l’heure et les besoins dans la hotte dont il faisait quotidiennement usage et qui elle aussi arborait, en sa partie supérieure, la plaque bleue métallique indicative du numéro de la médaille. L’homme et l’outil étaient ainsi liés par le règlement et la loi dans ce qu’il convenait d’appeler un esclavage qui n’avait rien à envier aux époques antiques. À bientôt trente-neuf ans, il ne sentait déjà plus son dos, rompu au travail harassant de porteur qui le faisait vivre depuis bientôt six ans. À moins que ce ne soit sept ? Il avait cessé de compter, de même qu’il avait cessé de s’interroger sur le sens de cette vie qui l’encombrait et dont il ne savait plus que faire depuis qu’il avait quitté Bellecombe et la Corrèze. Cela lui avait pris du temps pour se détacher enfin du passé qui l’avait tout à la fois rendu si heureux et fait tant souffrir. Du temps pour abandonner toute fierté et tout orgueil et admettre qu’il n’entrait pas dans le cœur de Philomène et n’y entrerait jamais.
Avec la conscience aiguë d’être né du mauvais côté de la barrière, il repensait souvent à l’épisode qui lui avait ouvert les yeux et avait scellé son sort. La décision s’était imposée de partir, sans un mot et sans se retourner, fidèle en cela à tous ces hommes de la terre pour qui la parole est souvent vaine.
Ilustré par le tableau d’Augustin Lhermitte ( détail) – Les Halles
Extrait n°2
Gustave Delage, la quarantaine bedonnante, avait succédé à son père en tant que maire du pays, lui-même ayant pris la suite de Louis Després après sa mort brutale. Ce n’était pas un mauvais homme. Gros propriétaire terrien dans tous les sens du terme, il s’inscrivait dans cette lignée de notables qui n’avaient pas besoin de travailler
par ailleurs et s’acquittait de sa mission avec un zèle égal au prestige que ce statut lui conférait. Il avait à cœur de compenser un manque de charisme, dont il était parfaitement conscient, par l’entretien madré d’un tissu social et relationnel qui lui permettait de dorer une image qui sans cela aurait paru bien terne. Sa jeune épouse, Augustine, douce, toujours souriante, grasse et replète, l’aidait de son mieux dans cette mission, heureuse de servir son homme et la République qui connaissait en Corrèze, depuis l’hiver, les derniers soubresauts des rapports particulièrement tendus entre le pouvoir épiscopal et les autorités civiles et politiques. Or, l’arrivée prochaine dans le bourg, d’une jeune institutrice laïque chargée de l’instruction des filles occupait ses jours et ses nuits.Partagé entre la recommandation du Recteur de l’Académie de Tulle d’ouvrir enfin une école de filles, les refus successifs de son conseil municipal qui réaffirmait à chaque réunion le principe de ne pas voter la plus médiocre somme pour son objet et la rude concurrence de l’école religieuse florissante et gratuite, Gustave Delage ne vivait plus. Satisfaire
les uns, c’était mécontenter les autres, lesquels étaient ses proches administrés et qui ne voyaient pas bien, voire pas du tout, l’intérêt de bouleverser un système qui fonctionnait parfaitement ni de multiplier de fait les dépenses. L’école de garçons, dirigée par Edmond Lavergne depuis près de vingt ans, remplissait parfaitement son rôle.
Les drolles y apprenaient à lire, à écrire et à compter. Et pour ce qui était des filhas, sœur Marie-Agnès et son adjointe, sœur Juliana, donnaient également toute satisfaction et, qui plus est, avaient la confiance de la population sans entraîner le moindre frais pour le contribuable. Vraiment, que demander de plus ? Mais Gustave Delage était républicain dans l’âme. Le respect de la loi était son credo à lui. Et pour l’heure, la loi lui imposait de créer cette école de filles. Seulement, il restait un grand pas à franchir entre l’intention et la mise en œuvre qui consistait entre autres choses à trouver des locaux. On ne s’était jamais bien soucié des conditions d’exercice de l’instituteur. Les quarante élèves, qui n’étaient d’ailleurs jamais là tous en même temps, se contentaient, dans un bâtiment annexe à la mairie, d’une salle obscure et poussiéreuse aux murs lépreux, dotée d’un poêle à bois que chacun alimentait d’une bûche à la mauvaise saison. Quant au logement du maître qui avait eu le bon goût de rester jusqu’à ce jour célibataire, on s’en souciait comme d’une guigne ! C’était peu dire qu’il était insalubre ! Il importait peu, vraiment, que le plancher de la mansarde au-dessus de la classe menace par endroits de s’effondrer et que les tuiles rongées par les ans, la chaleur et les intempéries, laissent passer la pluie. Il en allait tout autrement pour cette jeune femme qu’on se devait de loger un peu plus décemment. Il en faisait, allez savoir pourquoi, une affaire personnelle. Et alors qu’il s’échinait à trouver une solution qui épargnât son ego et les finances communales, Augustine eut soudain une fulgurance !
Illustré par le tableau de Corot- La petite liseuse ou Jeune bergère assise et lisant.
Acheter ce livre (à partir du 13 février 2024)
Livre précédent : Philomène, le sang de la terre
Philomène, le sang de la terre (2022)
Fresque sociétale et tableau de mœurs, « Philomène, le sang de la terre » nous plonge dans la campagne limousine de la fin du XIXe siècle.
Placée comme domestique chez des notables, la toute jeune Philomène expérimente les duretés et les contradictions d’une période charnière, entre modernité et traditions ancestrales.
C’est peu dire que je suis émue.Comme à chaque fois.Peut-être plus encore pour celui-là.Parce qu’il est la concrétisation et l’aboutissement d’un projet un peu fou.Parce qu’il est d’une certaine manière, le prolongement de “Comme une colombe en plein vol…” qui m’est particulièrement cher.Parce que c’est le huitième et qu’il porte en lui les signes de la maturité.Parce qu’aujourd’hui, il m’échappe comme l’enfant qui fait ses premiers pas.
J’ai écrit ce roman pendant le confinement à un moment où l’on abandonnait nos anciens dans les maisons de retraite et ailleurs. Un moyen comme un autre de rendre hommage à ceux qui ont été jeunes, qui ont aimé et à qui tous, nous sommes redevables.
Philomène. Le sang de la terre
un roman de Muriel Batave-Matton.
Voici tout un monde romanesque où l’inconstance inévitable des sentiments fluctue au gré des évènements qui affectent les communautés rurales et bourgeoises de la Corrèze au cours des dernières décennies du 19e siècle.
Les temps politiques le jalonnent ici et là : la grève des mineurs de Decazeville, le boulangisme. On constate que MeToo n’est pas la grande affaire du seul 21e siècle : le 19e connaît sa part d’abus sexuels. Pourtant le silence y est encore la règle. Les femmes comptent sur la protection des maris, encore faut-il qu’elles en aient un, ce qui est loin d’être le cas des filles de ferme et autres soubrettes que la gent masculine prend si souvent pour proie. Paradoxe : bien que non voulu et dénié, le mélange des sangs abâtardit la société de ceux qui se pensent comme une élite.
En un peu moins de trois cents pages, ce que nous propose Muriel Batave-Matton n’est rien de moins que cinq années de la vie quotidienne en Limousin dans deux univers fort éloignés l’un de l’autre, que l’économie rapproche pourtant parfois.
Louons les auteurs qui, comme elle, nous font revivre un édifiant passé grâce à la littérature et la minutie de leurs écrits, aidés en cela par la distanciation historique et la vivacité de leur imaginaire.
Comment l’on devient transfuge de classe
Lorsque la jeune Philomène quitte le pauvre toit familial, elle devient domestique au château de Bellecombe, propriété des Després. Antoine Després, le père, vient de trouver la mort dans un accident de chasse.
Son fils, Louis, épouse une certaine Charlotte Delage. La naissance de Charles, leur enfant, sonne aussitôt le glas de tout rapport sexuel entre Louis et Charlotte. Ainsi en a décidé Jeanne, la mère de Louis, afin de prévenir tout risque de division des biens.
Dès lors, Louis, le Monsu, se fera une spécialité de transporter ailleurs ses pulsions et ses désirs ; il ira de séductions singées en exultations ancillaires et culbutera à tout va les jeunes domestiques au service de sa caste.
La vie de Philomène bascule : les domestiques du château de Bellecombe constituent sa nouvelle famille. L’auteure nous en dépeint les moeurs avec verve et force détails pittoresques en cette fin du 19e siècle en Corrèze
Au fil de son parcours, la sage et exemplaire Philomène réussit une évolution sociale qui devient aussi la salutaire transformation de sa personne. Elle se forme, se perfectionne, s’attache à « parfaire sa lecture », et saura bientôt lire à haute voix les potins du Petit Journal pour distraire Jeanne, la douairière du château de Bellecombe. Mais pas seulement, bien sûr. Avec l’acquisition d’un langage plus riche et nuancé, sa pensée et son jugement s’affermiront, tandis qu’elle saura de mieux en mieux ce qu’elle veut et ne veut pas.
Cet aspect forme l’un des attraits du récit, tant il est vrai que l’on se plaît à admirer, de saison en saison, le cheminement personnel de la jeune paysanne. Elle s’affranchit peu à peu des pesanteurs de son milieu d’origine. Son histoire est celle d’un épanouissement, d’une revanche sur la destinée que tout un chacun dans des conditions similaires pourrait légitimement ambitionner.
Marie, la sœur aînée de Philomène se voit contrainte de choisir une voie opposée qui, la conduisant dans les ordres, l’écartera pour toujours du temporel.
La civilisation rurale du face-à-face
Les femmes se surveillent les unes les autres : Jeanne surveille Charlotte qui surveille Philomène qu’elle croit à tort naïve et mal dégrossie, quoique bien installée à Bellecombe et reconnue de presque tous.
Contre toute attente, la jolie Philomène semble pouvoir échapper aux assauts du maître. Car Le Monsu, comme on le nomme en patois, semble s’assagir radicalement par la seule grâce de la jeune femme.
Philomène ne ressemble pas aux habitants de son hameau ; une « distance de plus en plus grande » la sépare des siens. Plus qu’une différence, cette distance se résume à un écart mental et culturel. Un écart vis-à-vis du bas comme du haut de la pyramide sociale. Elle occupe une place qui lui est propre. Tout sauf charmeuse, son prénom sonne pourtant comme un charme : Philomène, c’est un peu philomèle, c’est-à-dire rossignol, du latin philomela. Jolie blonde, elle s’attire, malgré elle, l’admiration de Germain, le palefrenier du château. D’amour éperdu, le jeune homme déploiera en vain des prodiges d’attention et de calculs.
Quant à Louis Després, ses affaires vont bien. Il a su prendre les bonnes décisions et gère convenablement son domaine. Cela n’empêche pas son mariage de tourner au fiasco.
La sape sournoise du secret de famille
C’est là que Marie, l’aînée, la religieuse, interviendra pour révéler un lourd secret.
L’auteure fait tout ce qui est en son pouvoir littéraire — qui est considérable — pour susciter chez le lecteur une affection spontanée à l’égard de la personne de son héroïne au parfum de pomme.
La mort d’Augustine, mère de Philomène, initie chez cette dernière une lancinante interrogation existentielle : pourquoi sa mère ne lui a-t-elle jamais témoigné d’amour ?
Puis vient la première des scènes fondatrices du roman. Éblouie par la beauté d’une robe découverte en cachette, Philomène ne peut résister à la tentation de la revêtir un instant, ne sachant pas que le maître des lieux la contemple, ému de tant de joliesse.
Un roman composé avec une incontestable force narrative, structuré qu’il est en cinq actes selon la dramaturgie shakespearienne ou cinq mouvements à l’instar des « Souvenirs de la vie rustique » de Beethoven, plus connus sous le titre de « Symphonie Pastorale (n°6) ».
Les accents du patois fleuri sont là pour relayer tout à la fois sagesse paysanne et inventivité langagière de ce pays d’oc. Le plaisant vocabulaire régional orne le texte de part en part, tandis que l’auteur prend soin de fournir pour chaque terme sa traduction en français courant.
L’issue du drame s’imposera d’elle-même dans une situation plus que regrettable dont on appréciera pourtant la cohérence philosophique.
La campagne, la nature, les saisons, la culture —tout le texte sobrement empreint de délicates tonalités géorgiques offre, ainsi que ses attachants personnages, un bonheur de rencontres et de lecture.
Pierre-Jean Brassac
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Claire, Anne, Chloé…. Les héroïnes contemporaines de Muriel Batave-Matton ont toutes une très nette conscience de ce qu’elles doivent à leurs aïeules : la transmission de valeurs, l’attachement à une terre, une force de vie et de caractère les amenant à remettre en question ce qui « s’est toujours fait », comme la soumission et la servilité de l’épouse, pour tenter de s’approprier l’indépendance et l’affirmation de soi.
Pour remonter à la source de cet héritage, l’auteure nous conte le destin et la vie de Philomène, bisaïeule de Claire, évoquées l’une et l’autre dans « Une colombe en plein vol ». Guidés par un doux parfum de pomme mêlé à celui de la terre, nous voici au 19è siècle, en Corrèze, entre le travail de la terre et la vie cossue des bourgeois de la ville.
Muriel Batave-Matton a à cœur d’approfondir les sentiments de ses personnages, de nous amener à saisir ce qui les anime, les révolte, les enthousiasme, le tout dans un contexte historique et social minutieusement étudié. Dans ce nouveau roman, si le propos est de se plonger dans le quotidien de Philomène, quittant sa terre et venue travailler à la ville, il se noue au fil des pages une histoire d’amour sincère qui va déterminer le cours de son existence et le destin de sa descendance à venir.
La fantaisie et la légèreté des comédies sentimentales contées dans ses romans précédents laissent place à un manifeste pour la cause des femmes, révélant son attachement aux auteurs réalistes, George Sand en tête.
Geneviève Namy, mai 2022
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Un grand feu pétillait dans l’âtre, lluminant l’unique pièce à vivre de la maison où s’étaient rassemblés Augustine et ses six enfants dont les plus jeunes, des jumeaux, avaient à peine huit ans. Absorbés par le pelage des châtaignes, tous reproduisaient les gestes ancestraux avec la dextérité que forge l’habitude, incisant en croix le fruit brun à l’aide du couteau qui ne les quittait jamais, puis ôtant successivement les deux peaux qui auraient gâté la farine et le goût du gruau. Le travail était long et fastidieux, surtout pour bien enlever, le « tan », la seconde peau plus fine et duveteuse bien collée à la chair. Et les enfants s’appliquaient à leur tâche, tête baissée, front buté, peu désireux de rompre un silence qui semblait les protéger d’une réalité qui les laissait au bord de l’abîme. On avait enterré le père trois jours plus tôt sous une pluie glaciale, dans le petit cimetière du hameau, derrière l’église. Rien ne présageait cette mort si rapide d’Octave qui l’avait emporté dans sa quarante-septième année. Il s’était mis soudain à transpirer abondamment après sa journée et rien n’avait pu empêcher le cours inexorable des événements. Ni le tison de Noël qu’on avait rallumé, ni les herbes de la Saint Jean, ni le pèlerinage à la Bonne Fontaine ni enfin le médecin appelé en dernier recours pour qu’il ne soit pas dit qu’on n’avait pas tout fait et qui s’était contenté de dire, comme on s’y attendait, que c’était trop tard et qu’il n’y avait plus rien à faire. Le chien avait hurlé toute la nuit, annonçant à tout le village l’agonie du père que les siens avaient acceptée, impuissants, terrassés par cette injustice immanente qui frappait à l’aveugle. La mère avait lâché sa quenouille et fixait les flammes d’un air absent sous le
regard inquiet des deux aînées, Marie et Philomène, frappées de plein fouet par l’évidence cruelle du devenir de la famille. Agées respectivement de dix-huit et seize ans et déjà femmes, elles savaient leur sort scellé aussi sûrement que l’hiver succède à l’automne. Il leur faudrait rapidement trouver un mari pour soulager la mère. Or ni l’une ni l’autre n’était prête à reproduire un schéma tristement convenu. Marie parce qu’elle redoutait plus que tout la brutalité des hommes, Philomène parce qu’elle refusait de quitter si vite le monde de l’enfance pour une vie de totale abnégation si éloignée de ses rêves.
Le feu ronflait dans la cheminée et le savant amoncellement de bûches et brindilles s’affaissa, provoquant l’éboulis de tisons tout autour. Aussitôt, Victor, l’aîné de ses frères, abandonna sa tâche et saisit le tisonnier pour rassembler les braises. La lumière du feu éclaira violemment une partie de son visage tandis que l’autre se fondait dans l’ombre, créant une sorte d’effet magique qui frappa d’étonnement la jeune fille. Il lui sembla tout à coup qu’il avait grandi et forci, qu’il n’avait plus seulement treize ans mais beaucoup plus. Son dos droit, ses sourcils froncés, le pli dur de sa bouche témoignaient de la responsabilité nouvelle qui s’était abattue sur ses épaules et l’avait investi contre son gré. Comme si la chrysalide qui l’avait jusqu’alors protégé s’était déchirée, le livrant au monde des adultes avec une dureté impitoyable. Se sentant observé, le garçon se tourna lentement vers Philomène qui vit passer dans ses yeux autant de désarroi que de tristesse et de peur résignée. Qu’allaient-ils tous devenir sans le père ?
Illustration: Apparition de l’ange à St Joseph- Georges de La Tour (Détails)
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Un lourd panier à son bras, Philomène se hâtait sur le chemin qui menait aux champs où s’affairaient les faucheurs depuis l’aube. Elle apportait la miejorn, qu’elle savait attendue avec l’impatience de ceux qui aspirent à marquer une pause indispensable dans le déroulé de leur tâche harassante et refaire leurs forces. Le soleil était déjà haut et l’air bruissait du vol agaçant des insectes invisibles. D’un prompt revers de main, la jeune fille chassa une abeille au corselet brillant venue vrombir à son oreille. Elle regretta aussitôt son geste et adressa un sourire dépité à l’ouvrière qui s’était déjà éloignée dans un imperceptible mouvement d’ailes, portée par la brise légère. Pourquoi se montrer ingrate d’être prise pour une fleur ? L’idée la fit rire et elle ferma un instant les yeux. Elle aimait cette saison, ses odeurs, ses parfums qui la reliaient à la terre et son renouvellement. Et comme elle, Philomène se sentait renaître après cet hiver redoutable qui les avait privées, elle et sa famille, d’une partie d’elles-mêmes. Au détour de la sente, elle aperçut les premiers faucheurs, menant leur rang, en lignes décalées. Elle revit le père avançant à petits pas, ployé en avant, indifférent à ses reins douloureux, les genoux fléchis, talonné par celui qui venait derrière. L’image se figea puis se brouilla devant elle comme les friselis de l’eau de l’étang troublée par le ricochet de la pierre jetée par ses frères. L’existence d’un homme, ce n’était donc que cela, un jet de pierre et quelques ronds dans l’eau ? Avec la sensation d’avoir la poitrine prise dans un étau, elle songea combien la vie avait si rapidement repris son cours. Ou bien était-ce seulement la nécessité de survivre qui les avait tous emportés, hissés sur la berge salutaire? A Jabreilles, la solidarité avait aussitôt joué, comme toujours, et on s’était organisé au mieux, en attendant des jours meilleurs. Le Monsu avait accepté de leur laisser la jouissance de la maison pourvu que le travail soit fait. Et il l’avait été, en grande partie grâce à l’Antoine, un veuf aussi, père d’un garçon, Martin, déjà marié et parti s’installer dans sa belle-famille au bourg voisin, et d’une fille d’une dizaine d’années, prénommée Alphonsine. L’arrangement s’était fait presque tacitement. Il fallait un homme pour diriger la ferme. Il fallait une femme pour tenir la maison. Pour le moment, chacun gardait la sienne pour le coucher. C’était trop tôt. Mais les repas étaient pris en commun, on vivait au pot et la Mère regardait sans aversion l’Antoine qui n’était pas pire qu’un autre, avec la résignation des femmes habituées à ne pas regimber sottement devant l’inéluctable. La seule urgence qui valait était de nourrir les siens.
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Livre précédent : La queue du lézard
La queue du lézard (2020)
« Il lui fallait toujours être impeccable, forte de ses compétences, susciter l’admiration, recevoir des compliments. Un besoin de reconnaissance chevillé au corps, porteur de tous les dépassements et responsable de toutes les détresses. Bientôt, elle pourrait faire taire cet impitoyable juge intérieur en arrêtant de se fixer des objectifs trop élevés. En limitant les « il faut » et les « je dois ». Bientôt, elle pourrait lâcher prise, enfin ! »
Ce dernier opus est une autofiction. Lorsque j’ai commencé l’écriture, j’avais à cœur de poursuivre les aventures de Pauline et Mathieu commencées dans « Cette amie-là » mais également le projet de profiter de ma dernière année d’enseignement pour revenir sur mes débuts de carrière. J’ai choisi de mêler les deux et de revenir sur ce thème de la transmission qui m’est cher.
La queue du lézard, par Muriel Batave-Matton
Avec « La queue du lézard », Muriel Batave-Matton nous livre un nouveau volet du polyptyque romanesque dont elle poursuit l’écriture avec un entrain et une maîtrise qui s’affirment d’année en année. Au fil du temps, sa voix personnelle nous devient familière, contrairement à ses intrigues qui continuent de surprendre par leur intensité et la minutie de leur traitement.
L’avant-propos nous précise le parti pris narratif : « Dans ce nouveau récit, j’ai souhaité, plus encore que dans les autres, me livrer avec sincérité ». Et en effet, l’auteure-narratrice s’adonne sans complaisance ni égotisme aucun à une introspection, souvent émaillée d’autocritique, voire d’une désarmante autodérision qui suscite la sympathie.
Pour Anne, la narratrice et avatar de l’auteure, l’écriture est « une formidable armure » qui lui permet de s’engager […] dans toutes les batailles. Elle a besoin de l’écriture ; l’inverse est vrai.
Être ou ne pas être à sa place
Anne se souvient de sa propre formation et de sa découverte d’un antagonisme entre les classes sociales. Le milieu ouvrier de ses origines « ne l’avait pas préparée à la condescendance bourgeoise ». Aussi Anne entre-t-elle dans la vie professionnelle avec un sentiment d’imposture, celui de ne pas être tout à fait à sa place, une certaine honte sociale distillée par une élite habituée à s’inventer une douteuse supériorité. En un accès d’humilité radicale, Anne en vient à penser avec Pessoa, que la réalité n’a pas besoin d’elle.
Anne, l’héroïne, sait aider les autres – notamment la fille de son amie Chloé : Pauline, dont la relation amoureuse avec un certain Mathieu reçoit subitement l’ombre portée d’une rivale en la personne d’Adèle, la très sensuelle et instable Adèle.
Frayeur quand Mathieu rencontre cette Adèle, la belle Malienne, alors que – aux yeux d’Anne — il semble filer le parfait amour avec Pauline, qu’elle-même, Anne, entend protéger. Va-t-il succomber aux charmes d’Adèle ? Sautillante et dilettante, la jeune Africaine joue avec des occupations différentes, ne souhaite nullement s’enfermer dans un métier, « tant pis si aucune n’est menée à bien » Pour elle, l’important est de vivre. On commence à se demander si Pauline, la délaissée de l’histoire, attendra indéfiniment le bon vouloir de Mathieu.
Anne saura-t-elle s’aider elle-même au moment de rompre avec la carrière d’enseignante ? Au terme de trente-neuf années de labeurs didactiques, le tournant signifie fini « le réveil, le matin », finies « les vacances à dates obligées », finis « les moments d’inspiration perdue », adieu « les parents (d’élèves) ingrats et agressifs… »
Motifs constants chez Muriel Batave-Matton, les chats entrent dans la distribution du récit comme des personnages à part entière. Cette plaisante « ponctuation animale » du récit crée des respirations passagères grâce auxquelles la narratrice relativise les vicissitudes que connaissent les protagonistes alentour.
Le roman offre au lecteur une dramaturgie tissée de situations inédites formant une matière variée pour de nouvelles analyses des mobiles humains. L’auteure nous incite à élucider les stratégies individuelles et nous révèle pour ce faire les principes de sa propre sensibilité. Un personnage rougit, « un peu honteux de son habileté à cacher son trouble ».
Quand l’histoire singulière des protagonistes traverse à pas subtils, curieux et mesurés, la vastitude des rapports humains, des réactions de prestance, des langueurs et des hésitations, on se délecte des tons innombrables du nuancier mental dont sait user l’auteure pour dépeindre les pulsions affectives et les conceptions existentielles de ses personnages.
Un récit enraciné
Corrèze, Tulle, Les Monédières, Saint-Antonin, Toulouse : tels sont les lieux où évoluent les personnages. En deux mois et demi — du 11 février jusqu’au vendredi 26 avril — le récit nous transporte donc de l’hiver au printemps, sous un climat qui est aussi celui des cœurs, tandis que pour Anne, la bientôt retraitée, s’annonce un drastique changement.
Professeure de lettres, Anne pratique volontiers l’autocritique de corporation. L’univers enseignant est selon elle « trop étriqué ». N’en déplaise au Ministère, Anne ne serait-elle pas d’abord une professeure de l’être ?
Elle l’avoue, certains enseignants ne sont pas exempts de rigidité, telle cette professeure de philosophie qui impose à une élève de considérer qu’il n’existe que trois philosophes : Platon, Descartes et Kant.
La narratrice énonce au passage quelques principes et trucs professionnels de l’enseignante : « implication de tous les instants et un engagement total de sa personne. » Tout cela pour « allumer une petite lumière d’intérêt dans les jeunes cervelles ». Elle a raison de dire que les enseignants sont des théâtreux. Peut-on nier que, durant toute leur carrière, ils donnent à voir et à entendre par épisodes de cinquante-cinq minutes ?
Pourquoi diable Anne souhaite-t-elle figurer sur la liste des élections municipales ? Quelle est sa motivation ? Pouvoir, solidarité, appartenance à un groupe ? Elle redoute la retraite et son terne fanion de grise solitude. « J’ai l’impression de ne plus exister pour personne… » avoue-t-elle. Puis vient la phase de l’acceptation : « Avec la retraite, rien ne s’arrêtait. Tout continuait, au contraire, à l’image de cette queue de lézard qui repousse. Elle se sent ‘disponible’, et, comme elle le formule, « Prête à accueillir ce qui vient à moi, que ce soit la détresse d’une femme ou le chant d’un oiseau » Selon sa propre expression, elle tourne la dernière page d’un chapitre de sa vie mais ne ferme pas le livre.
« Une fresque humaine », promet la quatrième de couverture de ce roman encore plus personnel que les précédents. Le mot est bien choisi, tant il est vrai que La queue du lézard se lit comme un tableau de mœurs dépeintes dans le frais, dans la réalité sociétale d’aujourd’hui.
Comme chez Balzac, dans sa Comédie humaine, il s’agissait pour Muriel Batave-Matton, une fois de plus avec ce sixième volet, de décoder et représenter l’esprit de générations et de milieux humains fortement contrastés, sinon opposés. C’est-à-dire l’humain dans toute sa fascinante diversité.
Pierre-Jean Brassac
Muriel Batave-Matton, La queue du lézard, Les Éditions du Panthéon, Paris, 2020, 267 pp., 19,90 €
Adèle referma la porte du conservatoire de musique, la mine soucieuse. Elle détestait être reprise à l’ordre et le reproche acerbe de son professeur de piano sur son manque de travail passait difficilement. Parce qu’elle était vive à concevoir les idées et les faits, elle avait une fâcheuse tendance à croire qu’elle savait tout. Or, si elle était naturellement brillante, son manque de discipline et de patience pour les détails rendait son savoir superficiel et toute sa petite personne, parfois pédante et pompeuse.
Depuis quelques temps, rien ne tournait dans sa vie comme elle le souhaitait et elle essuyait de toutes parts, des remarques qu’elle jugeait désobligeantes. Jusqu’à ses parents qui l’avaient toujours encensée. Une longue conversation avec eux sur Skype, deux jours plus tôt, s’était soldée par des cris et des pleurs qui l’avaient ébranlée sans pour autant remettre en cause ses principes. Qu’avait-on besoin de vouloir à tout prix la contraindre? Elle ne supportait pas qu’on lui tienne la bride trop serrée. Tout son corps se révoltait à cette idée. Elle en avait presque la nausée et en tremblait rien qu’à l’évoquer. Certes, elle admettait qu’elle n’était pas facile à manier, mais trouvait qu’on ne reconnaissait pas à quel point elle était consciencieuse et digne de confiance. Elle ne mentait, ne trichait pas, ne faisait rien de mal, mais réclamait en échange qu’on lui laisse la liberté de faire les choses à son rythme en respectant ses choix et son bon plaisir. Ses parents s’impatientaient quant à son avenir professionnel. Son père s’était dit désespéré de ses goûts qu’il jugeait trop superficiels et la jeune fille avait été profondément touchée par cette critique ouverte qu’elle avait reçue comme une gifle parce qu’elle s’était longtemps identifiée à lui. Elle n’avait même pas eu le secours de sa mère, vers qui sa préférence allait et sur qui elle avait toujours compté depuis sa plus tendre enfance. Plus compréhensive, justement, sur les questions de discipline, elle plaidait habituellement volontiers en sa faveur. Adèle la savait plus consciente de la droiture profonde de sa fille « intenable » et l’avait toujours défendue fermement face à toutes les critiques. Or, ils semblaient tous deux s’être ligués pour ce qu’ils appelaient « lui faire entendre raison » et obtenir d’elle qu’elle s’engage sérieusement dans une voie et une formation qui débouchent enfin sur un métier. Le mot avait été lâché et tournait à présent dans sa tête comme une toupie. Elle avait beau faire un effort, elle ne voyait pas l’intérêt de s’enfermer dans une profession. Le monde était bien trop vaste et ses possibilités rendaient pour elle tout choix de carrière excessivement difficile. Par ailleurs, elle était dotée d’un naturel optimiste qui se justifiait par la chance qui l’avait toujours accompagnée. Elle n’avait jamais rencontré de problème d’argent, sa famille ayant toujours pourvu très largement à ses besoins. Toutes les fées semblaient s’être penchées sur son berceau à sa naissance. A quoi bon, dans ces conditions, se résoudre à une vie étriquée ? Décidément, non, personne ne lui imposerait ce qu’il fallait faire ou penser. Elle avait son propre système, sa propre conception de la vie et les critiques lui étaient indifférentes. Depuis l’enfance, elle se sentait dotée de réserves d’énergie inépuisables. Elle n’avait pas de temps à perdre à se demander ce qu’elle allait faire dans la vie ! Elle préférait de beaucoup jouer simultanément avec six occupations différentes. Et tant pis si aucune n’était menée à bien. Elle vivait !
Tableau Dominique Dupin – Vivre chaque jour
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La petite galerie était bondée. Le vrombissement d’une ruche bourdonnante l’assaillit dès qu’il franchit le seuil. Il considéra un instant la scène qui s’offrait à lui, prêt à faire demi-tour. Collés les uns aux autres par le dos, par l’épaule, par le ventre, un verre à la main, les invités avaient l’allure grotesque de pantins désarticulés qui cachaient à la vue les œuvres suspendues sur les murs. Une terrible envie de rire le souleva soudain devant ce non-sens absolu, quand une main se posa sur son épaule.
– Content de voir que tu vas mieux, mon frère! lui glissa Laurent à l’oreille, en se méprenant sur la cause de son hilarité. Adèle m’a laissé entendre que tu traversais une mauvaise passe. Cela me fait plaisir que tu aies pu te libérer. Tu as vu? C’est un succès!
Mathieu opina, renonçant à crier pour se faire entendre. Il n’y avait, de toute façon, pas grand chose à ajouter. Il ne se voyait pas expliquer à Laurent le succès tout relatif de sa soirée, ni que tous les gens présents se moquaient comme d’une guigne des œuvres exposées avec tant de soin. Il ne retenait qu’une chose, les propos rapportés par Adèle à son sujet. « Une mauvaise passe ? Etait-ce ainsi qu’elle voyait sa situation ? Une passe qu’il vivait avec elle? Rendue mauvaise par elle ? » Le mot « passe » lui écorcha soudain l’oreille par son côté trivial. Il ferma les yeux dans l’espoir vain de remettre de l’ordre dans ses idées. Il repensa à la discussion houleuse qu’ils avaient eue, le lendemain de son retour de St Antonin. Adèle n’avait absolument pas compris sa douleur, l’avait même jugée puérile. Elle était même allée jusqu’à comparer leur situation respective, en souligner le parallélisme. Elle avait alors conclu avec une vulgarité teintée de snobisme que, décidément: « les vieux faisaient chier et que c’était injuste que ce soit eux qui aient toujours le fric alors que c’étaient les jeunes qui en avaient besoin! » Mathieu en était resté sans voix, s’efforçant vainement de trouver une cohérence entre cette histoire d’argent et le chagrin qui le minait suite à la déception qu’il avait causée. Devant son air ahuri, elle lui avait lancé crûment, en s’appliquant à détacher chaque syllabe :
– Mais tu ne comprends donc pas que ton père vient de te couper les vivres, comme on dit ?
Dans la foule, il surprit soudain son regard félin braqué sur lui. Un homme d’âge mûr au costume impeccablement coupé lui caressait l’épaule et l’embrassait dans le cou.
La châsse protectrice de cristal dans laquelle il avait enfermé Adèle vola instantanément en éclats.
Illustration : les amants I, René Magritte, 1928
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Cette amie-là (2018)
« Le nom était d’abord apparu sur sa messagerie personnelle : Patricia Bourdou souhaite vous inviter à rejoindre son groupe d’amis sur Facebook.
Un nom, surgi du passé, qui la propulsa immédiatement quarante ans en arrière, la confrontant brutalement à une montagne de souvenirs.»
Anne, professeur de français à Tulle, se prépare à une dernière année de cours paisible, ponctuée de séjours réguliers dans sa maison de campagne. C’est alors que resurgit Patricia, d’un lointain passé, une ancienne camarade disparue brutalement de sa vie. Patricia la séductrice, la prédatrice, a-t-elle autre chose en tête qu’une simple reprise de contact après tant d’années sans donner signe de vie ?
Si dans « Cette amie-là », la fiction l’emporte, elle s’appuie néanmoins sur une part de réalité, comme dans tous mes romans. J’ouvre l’histoire sur une période très particulière de ma vie ou plus exactement sur les raisons qui ont précédé à un confinement personnel, une année durant. Et je saisis l’occasion d’aborder dans ce récit, le thème de la perversion narcissique amicale et féminine.
Avant de pouvoir se consacrer entièrement à l’écriture, Muriel Batave-Matton, professeur de Lettres vient de publier «Cette amie-là», son sixième roman.
De ses personnages est née une saga amicale. «J’ai commencé sans le savoir parce que j’avais simplement du mal à les quitter», décrit Muriel Batave-Matton. La Réalmontaise, professeur de Lettres au collège Balzac à Albi, vient de sortir son sixième roman aux éditions Panthéon. Dans Cette amie-là, revoilà Anne, l’amie de Chloé, personnage principal de Tout ça pour ça, son deuxième ouvrage.
«Anne me ressemble furieusement!», avoue l’auteure entre deux gloussements de rire. Elle y met en scène le retour de Patricia, une ancienne amie avec qui la narratrice s’est «un peu» fâchée. Cette dernière la recontacte via les réseaux sociaux après 40 ans de silence. «Anne a un regard décalé, souvent très acéré», indique l’auteur avant d’avouer: «parfois, j’ai un peu tendance à régler mes comptes!»
Une thérapie
Un choix assumé pour celle qui puise son inspiration dans son vécu, ses sentiments et ses souvenirs. «Je dis souvent que je tricote», faisant aussi de l’écriture une thérapie. «Écrire est un besoin survenu après le décès de ma mère, malade dont je me suis occupée pendant onze ans, mettant de côté ma vie de femme.» Elle raconte d’ailleurs sa vie dans Comme une colombe en plein vol, son livre précédent.
À la retraite à la rentrée prochaine, Muriel Batave-Matton compte s’adonner entièrement à sa passion. Pour le moment, l’enseignante jongle avec les mots pendant les vacances scolaires, passant des heures à son bureau. Avec pour seul rituel, le silence et la présence de son chat, qu’elle intègre dans ses romans. «Il y a les chats et la Corrèze!» Une terre à laquelle elle est viscéralement attachée autant qu’elle est sensible à la cause ouvrière. «J’ai une écriture très physique, il m’arrive de pleurer beaucoup. Pour faire passer l’émotion, il faut savoir se mettre dans la peau des personnages.» Et puis il y a les images qui lui viennent à l’esprit, les odeurs, les sons qu’elle s’attache à leur faire ressentir.
À quelques mois de la retraite, la sexagénaire projette de consacrer un livre à Georges Sand, dont elle admire la personnalité et les engagements. Elle n’en oublie pas de préparer son septième roman dont l’histoire sera bâtie autour de Mathieu, nouveau personnage, compagnon du devoir, à découvrir dans Cette amie-là.
Catherine Léhé
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Avec ce quatrième volet de sa « saga amicale » commencée en 2011, Muriel Batave-Matton nous convie à une excursion « au cœur des Monédières », dans un paysage naturel et humain qu’elle affectionne, celui de la Corrèze.
L’écriture classique, élégante, s’effacerait presque derrière la singularité des personnages et l’intrigue délicatement déployée. Le ton de cette prose limpide et efficace nous rappelle parfois la musique de Roger Martin du Gard, voire le timbre distancié d’un Albert Cohen.
Ce roman nous propose de considérer la simplicité comme une valeur humaniste en nous démontrant que la duplicité, le snobisme et le matérialisme ne tiennent pas la durée. L’auteure donne ici une nouvelle preuve de son talent quand il s’agit de démêler l’écheveau multicolore des sentiments.
Nous pénétrons dans un monde peuplé de chats qui savent, et d’araignées tisserandes de sagesse philosophique. Celles-ci symbolisent tout au long du récit la peur maîtrisée, la force de caractère du personnage principal.
Dans ce microcosme, des animaux et des hommes gravitent autour de deux amies que sont Anne, enseignante presque retraitée et Chloé. Appartiennent à leur premier cercle un attachant vieillard, Anselme, puis Pauline, la fille de Chloé, qui subit les assauts de Bertrand, enseignant prédateur, d’autant plus nerveux que Pauline se montre sensible au charme d’un beau brun, ébéniste de son état et compagnon du Tour de France. Anne ne se gênera pas pour conseiller Pauline d’assez près, en un face-à-face qui amorce le tournant essentiel du roman.
C’est alors que survient l’étrange Patricia Bourdou, de retour de Californie. Il semble qu’elle ait infligé, quarante ans auparavant, à son amie Anne une sorte d’abandon-trahison d’Anne. L’apparition dans l’intrigue de cette madrée Patricia décuple la tension ; elle ose encore solliciter l’aide d’Anne qui pourtant ne tient vraiment pas au rapprochement géographique de la revenante. Cette dernière dissimule plus d’un tour dans son sac et s’apprête à exercer une malsaine influence, dans toutes les nuances de son machiavélisme personnel. Elle apparaît tour à tour comme perverse, profiteuse et intrigante. Si ce n’était que cela…
On pense apercevoir l’ébauche d’une mise en abyme ; tandis que captivé par les mésaventures des personnages du roman, un autre roman nous semble s’écrire en parallèle… D’un chapitre l’autre, les transitions sont habiles et c’est peu dire qu’elles suscitent l’intérêt croissant du lecteur. Il faut saluer la maîtrise narrative de l’auteure qui, sans écart aucun, reste concentrée sur la droite ligne de vie de ses personnages dans leur embarras existentiel, et ce jusqu’à la chute inattendue et astucieusement cohérente.
On sort de ce roman à double intrigue avec des pensées de fraternité, de tendresse pour la Nature et pour nos frères humains. Un mode de vie simple pour temps embrouillés, serait-ce possible ?
Pierre Brassac
Cette amie-là, Muriel Batave-Matton, Éditions du Panthéon, Paris, 2019, 201 pp., 18,90 €
De quoi as-tu peur exactement? Ce n’est pas ton genre de te cacher la tête sous l’aile en attendant que les choses se passent.
De quoi avait-elle peur? Non, tout bien considéré, elle n’avait pas peur. Pas vraiment. Ce n’était pas de la peur. Elle repensa à cette araignée dans la salle de bains, qu’elle avait découverte quelques jours plus tôt. Elle avait toujours eu horreur de ces bêtes. Avec les serpents, c’était la créature qui l’effrayait le plus. Quand elle l’avait vue, immobile, sur le carreau du lavabo, elle avait eu immédiatement un mouvement de recul et un petit cri était resté coincé dans sa gorge. Un temps, elle était restée figée, le regard fixé sur la bête qui ne bougeait pas non plus. Elle ne voulait pas la tuer, juste pouvoir la jeter dehors, mais elle se sentait littéralement tétanisée et incapable d’agir de quelque façon que ce soit. La quitter des yeux lui paraissait un plus grand danger encore. Elle s’obligea alors à la regarder plus attentivement pour dompter sa répugnance. Son corps, ses pattes. Pas plus grosse qu’une pièce de deux euros, elle n’avait rien d’un monstre velu cauchemardesque. Elle s’était mise à lui parler pour se rassurer, lui avait donné un nom, Gipsy, comme l’araignée de la comptine qui se fait surprendre par la pluie pendant son ascension de la gouttière et tombe par terre. Petits moyens puériles et dérisoires qui avaient fonctionné. Deux jours durant, l’araignée était restée sur le carreau de faïence, tantôt plus à droite, tantôt plus au centre. Et puis, le soir du troisième jour, Anne constata avec un peu de tristesse qu’elle avait disparu.
– Anne, tu m’écoutes?
– Oui, oui, je t’écoute. Je pensais juste à l’araignée.
– Quelle araignée? De quoi parles-tu?
– Gipsy. Je me disais que Gipsy, c’est finalement Patricia.
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Anne relut pour la troisième fois le paragraphe qu’elle venait d’écrire, corrigea une faute de conjugaison, ajouta une virgule et enfin, enregistra son travail. Elle jeta un coup d’oeil par la fenêtre et considéra un moment Pauline qui lisait sous le tilleul. Elle songea à nouveau, combien tous ses efforts d’imagination pour inventer des histoires étaient bien faibles et dérisoires au vu de ce que la vie elle-même offrait. Les événements qui s’étaient succédé dans son existence depuis l’apparition de Patricia sur Facebook, tous les souvenirs, les émotions que cette intrusion avait suscitées pourraient constituer un très bon début de roman. Et si on y ajoutait l’histoire de Pauline…
Elle ferma les yeux et se prit à imaginer différents scénarios pour prolonger l’aventure des jeunes gens. La fin brutale de cette romance naissante lui déplaisait, même si elle était tout à fait concevable. Les rabibocher? Comment? Anne prenait à présent un malin plaisir à échafauder mille stratégies pour réconcilier Mathieu et Pauline devenus, soudain, dans son esprit, deux personnages de fiction. Pouvoir agir sur les êtres et décider de leur destin comme une déesse du haut de l’Olympe, l’amusait énormément.
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Comme une colombe en plein vol... (2017)
« Si lourd qu’ait été le passé, il reste pour elle, éminemment respectable et plus glorieux que le présent décadent qu’elle vit à présent et qu’elle supporte de moins en moins.
C’est ce passé qui lui a donné ses racines puissantes, qui lui a permis de s’ancrer durablement dans ce monde hostile et les moyens d’affronter sans faillir toutes les tempêtes.
C’est ce passé qui a façonné la femme qu’elle est devenue avec ses fragilités, mais sa force aussi. »
Pour Odette, une petite paysanne vouée aux durs travaux de la ferme et des champs dans les années 40 en Corrèze, l’horizon qui se profile n’est pas bien palpitant. Mais en saisissant avec courage les opportunités qui se présentent à elle, la jeune campagnarde prend son envol, envers et contre tous. Direction Paris ! Sera-t-elle suffisamment forte pour affronter les réalités de la vie citadine ?
À travers ce récit, Muriel Batave-Matton nous entraîne avec émotion sur deux décennies faites des rêves, espoirs, des découvertes et doutes de son héroïne. Du cœur de la campagne profonde aux sommets des mirages de la vie parisienne, ce roman dépeint l’exode rural et brosse une fresque humaine et résolument féminine, en entrecroisant plusieurs portraits singuliers.
Alors que je feuilletais l’album photos familial, j’ai été interpellée par une page où figuraient côte-à-côte, les portraits de mon arrière- grand-mère, ma grand-mère, ma mère et moi. Quatre générations de femmes très différentes et pourtant unies par le même sang. A la question « Qu’est-ce qui fait que j’ai ce caractère-là, qui fait que je suis devenue la femme que je suis ? » , l’évidence fulgurante a jailli: « Tu es la résultante de ces femmes-là ! » L’idée m’est alors venue d’écrire l’histoire de ma mère pour lui rendre hommage et à travers elle, saluer toutes les femmes.
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Muriel Batave-Matton publie son cinquième roman, «Comme une colombe en plein vol». Au rythme régulier d’un nouveau titre par an, cette enseignante de lettres du collège Balzac nous donne à lire des histoires. Une écriture qui se modifie au fil de ses livres, pour aboutir avec celui-ci à un récit dense, plein d’émotions et de profondeur. Elle sera en dédicace à la librairie Guillot le vendredi 3 mars à partir de 17 heures.
Publier un roman quand on est professeur de lettres cela peut être pris pour une fantaisie de passage, mais en arriver au cinquième c’est autre chose…
Qu’est-ce qui vous pousse à écrire ?
Avec les «Tilleuls mentent» je me suis appliquée à écrire une histoire légère, distrayante, en créant des personnages attachants. Malgré moi, au fur et à mesure, je me suis davantage impliquée dans mes récits, décrivant des émotions et des ressentis qui m’étaient proches. L’écriture s’est affirmée comme un mode d’expression dans ma vie, qui permet de prendre du recul sur les choses et les événements. Une respiration.
Dans «Comme une colombe en plein vol» vous abordez plusieurs thèmes qui vous sont chers…
Oui parce qu’ils font partie de moi : la Corrèze, la vie rurale, la condition féminine, les relations mère-fille… Finalement, mes précédents romans m’ont menée à celui-ci. On a tous des racines, un lieu ou un terreau familial. Ça a été une nécessité pour moi de faire la paix avec mon histoire, en comprenant le rôle et le destin de chacun des miens. La vie est faite de choix, parfois difficiles, elle n’en est que plus belle !
On voit dans votre écriture cette façon de pénétrer dans la tête des personnages pour nous les rendre plus proches, malgré ou à cause de leur vulnérabilité… C’est ce qui touche vos lecteurs ?
L’écriture est un plaisir solitaire parce qu’autocentré, mais elle a ceci de magique qu’elle permet le partage et la connivence… Rien ne me fait plus plaisir que d’entendre mes lecteurs me dire «j’ai connu moi aussi une Odette, une Philomène, une Claire…». Les histoires de vie restent universelles, et j’ai la chance de pouvoir les raconter, à ma façon !
Geneviève Namy Vrillaud dans la Dépêche du Midi
Tout en caressant les mains veinées de bleu de la Mamée, elle prit conscience, soudain, du calme qui régnait alentour. Seul le tic-tac de la grosse horloge, soucieuse d’ancrer les êtres et les choses dans le temps qui passe, ponctuait gravement le silence avec une régularité obsédante.
-Charles est aux champs? demanda-t-elle un peu trop vite, avec l’espoir insensé de maintenir l’impression qu’avait suscitée l’évocation de Fido d’appartenir toujours à la famille.
La mère s’arrêta un instant, la considéra avec un mélange de consternation et d’incrédulité.
– Y a belle lurette qu’il est loué! lâcha-t-elle en levant les yeux au ciel.
Alors qu’Odette s’apprêtait à demander des précisions sur la ferme qui embauchait à présent son jeune frère, le bruit d’une cavalcade de galoches sur la terre battue l’interrompit et deux gamins hirsutes firent irruption sur le pas de la porte en gloussant.
– C’est la mère qu’a dit qu’y faut venir tout de suite! Le travail a commencé!
Sans se soucier d’obtenir d’autres précisions, La Lucienne disparut un instant derrière une porte, puis, sans même accorder un regard à sa fille, suivit les garçons d’un pas lourd et déterminé en tenant fermement à bout de bras, les deux anses d’un cabas.
Ainsi, rien n’avait changé. La Mère aidait toujours les femmes en couches et probablement continuait-on à faire appel à elle pour tuer le cochon à la saison ou carder la laine et bourrer les matelas et édredons.
Odette se tourna vers La Mamée qui souriait, le regard perdu sur un ailleurs improbable.
– Nous voilà seules, Mamée, lui chuchota Odette à l’oreille, complice. Tu veux que je te lise une histoire? demanda-t-elle en sortant de son sac, un livre choisi à son intention avec soin, dans la bibliothèque des Siriex, avant de partir.
Mais, à sa grande surprise, sa grand-mère, tout en refusant énergiquement la proposition de mouvements de tête saccadés, se mit à farfouiller fébrilement dans les poches de son grand tablier. Enfin, elle en sortit une liasse d’enveloppes froissées sur lesquelles la jeune femme reconnut immédiatement son écriture.
– Ce sont mes lettres…fit-elle, la voix étranglée par l’émotion, en prenant délicatement les enveloppes qui n’avaient pas été décachetées. Personne ne te les a donc lues?
La Mamée dodelina encore de la tête et tout en se balançant doucement, pressa le bras d’Odette:
– Toi. Maintenant. Doucement. Plusieurs fois. Je veux pouvoir me rappeler quand tu seras partie. »
« Comme une colombe en plein vol… »- Muriel Batave-Matton
Les éditions du Panthéon
Plongée dans ses pensées, elle regardait défiler le paysage sans vraiment le voir et repassait le film des récents événements, dans un ordre chaotique. L’enterrement de la Mamée, dans le petit cimetière de Saint-Julien, son retour chez La Mère, dans une indifférence totale à laquelle elle avait fini par s’habituer. Aucun de ses jeunes frères n’avait pu venir, mais la Françou, toute grandie et déjà femme, l’avait surprise par son petit visage fatigué, son extrême minceur et les grands cernes de ses yeux. Elle avait trouvé du travail aux forges du Chavanon, au moulinage de la soie. Logée et payée moitié en argent, moitié en nourriture, elle s’était dite satisfaite de la place, en attendant mieux. Odette avait, d’un coup, mesuré la dureté des temps qui fane en passant, les fleurs les plus délicates, mais aussi sa chance d’avoir échappé à cette vie d’esclave. Et puis, il y avait eu la nouvelle de ce bébé qui ouvrait une porte sur un avenir balisé et en fermait une autre sur une jeunesse insouciante.
A ses côtés, Jeannette avait fermé les yeux et semblait s’être assoupie à moins qu’elle aussi ait trouvé ce moyen pour s’extraire un peu du monde. Que leur réservait l’avenir à toutes les deux? Le destin de Jeannette paraissait tout tracé à présent. Ses yeux se posèrent sur ce ventre qui, bientôt, s’arrondirait et témoignerait, devant tous, de façon impudique, d’une étreinte amoureuse et charnelle. Un mari, un enfant, n’était-ce pas le sort commun de toutes les filles? Fallait-il pour autant s’en réjouir? N’y avait-il donc que cette issue pour les femmes, mettre des enfants au monde, servir un mari? Elle songea un instant à Mademoiselle qui avait vécu et vivait encore ce statut honteux de fille mère et éprouva le besoin impérieux de la revoir. En dépit de son instruction, l’institutrice n’avait pas su se garder du danger d’aimer et de se donner sans calcul. Cette vérité lui sauta aux yeux. Elle avait toujours cru, un peu naïvement, que les livres auraient ce pouvoir magique de la préserver des contingences d’un monde ordinaire auquel elle rêvait depuis toujours d’échapper. Elle comprenait maintenant combien c’était difficile et illusoire.
Comme une colombe en plein vol…- Muriel Batave-Matton
Les éditions du Panthéon
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La maison de Jeanne (2015)
« De temps en temps, un rideau frémissait à son passage, révélant une présence qu’elle devinait, sans raison particulière, plus curieuse qu’hostile. (…).
L’odeur de l’homme était partout, dans le fumet âcre du bois brûlé, dans celui plus doucereux des soupes de légumes qui cuisaient. Et Anne, sans s’expliquer pourquoi s’en réjouit. »
Anne, professeure quinquagénaire, voit sa vie soudain bouleversée en apprenant qu’elle est l’héritière de la maison d’une grand-tante éloignée qu’elle n’a jamais connue. Contre toute attente, elle s’installe dans son petit village en Corrèze et, très vite, se heurte au silence pesant de ses habitants et au mystère épais qui entoure la personnalité de son ancêtre.
Entre l’Italie et la Corrèze, notre héroïne, curieuse d’en savoir plus sur sa parente, remonte le temps en suivant les traces d’une femme singulière et très en avance sur son époque.
Dans ce quatrième roman, Muriel Batave-Matton remet en scène Anne, déjà rencontrée dans ses romans précédents, Et tout ça pour ça en 2012 et Sa part d’ombre en 2013. Comme toujours, son écriture est soignée et rythmée, et l’intrigue bien menée. Passionnée, l’auteure a su développer un style efficace et très plaisant, et sait décidément tenir son lecteur en haleine jusqu’à la dernière page.
Pour ce récit, je suis partie d’un événement qui m’est réellement arrivé et que j’ai fidèlement retranscrit dans le premier chapitre. La suite est pure fiction et j’ai tricoté une histoire qui m’a permis de mettre en avant des valeurs qui me sont chères comme la tolérance, le respect des anciens et un thème récurrent dans tous mes livres, celui de la transmission.
«L’enfant né d’une femme porte ses parents sur ses épaules (…)» C’est par cette citation d’Amoz Oz ( Seule la mer ) que débute le dernier roman de Muriel Batave-Matton. L’héroïne, Anne, remonte le temps, afin de suivre les traces laissées par sa grand-tante qu’elle n’a jamais connue. La maison dont elle hérite et les objets qu’elle contient sont autant de voix qui l’appellent et l’amènent à déchirer le silence pesant autour de la personnalité de son ancêtre… De nouveau un livre sur une histoire de femmes, l’une de notre époque et l’autre témoin de l’Histoire. L’auteur puise dans une imagination nourrie de ses propres héritages, et nous conte à sa façon une vie extra-ordinaire. En poussant la porte de «la Maison de Jeanne», le lecteur entre dans un univers qu’il ne soupçonne peut-être pas mais dans lequel il se reconnaîtra sûrement.
Geneviève Namy Vrillaud dans la Dépêche du Midi
Elle comprenait comme une évidence, pourquoi les meubles étaient ainsi disposés, pourquoi ces petits médaillons représentant des roses anciennes s’imposaient naturellement au-dessus d’un bonheur-du-jour, un peu insolite, en marqueterie. Elle ne doutait pas que ce monde de Jeanne dans lequel elle s’était introduite, était le reflet d’un monde intérieur qui ressemblait au sien. Elle s’y sentait liée par une force qui la dépassait totalement mais à laquelle elle se livrait avec bonheur. Et c’était sans doute à ce moment-là qu’elle avait pris sa décision ou peut-être était-ce un peu après? Comme s’il avait senti qu’elle en éprouvait le besoin, le notaire lui avait proposé de rester un moment seule dans la maison. Elle avait alors laissé venir à elle ses émotions, tout ce qui se passait en elle et autour d’elle dans une sorte de recueillement. Elle s’était assise sur une chaise paillée près de la cheminée, laissant errer son regard sur les murs chaulés un peu jaunis et noircis par endroits, sur les poutres du plafond où des araignées avaient trouvé refuge et conçu de savantes toiles, sur les chenets et les niches pierreuses abritant quelques bibelots. Puis, lentement, les yeux fermés, elle avait continué à visiter mentalement chaque pièce, à s’imaginer vaquant dans la maison, et, gagnée enfin par une sorte de certitude, tout sentiment d’urgence l’ayant quittée, s’était dit avec sérénité: « C’est là! ».
La maison de Jeanne- Muriel Batave-Matton
Les Editions du Panthéon
Huile sur toile, Bouquet de roses – Albert Bauré
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A travers le hublot, ses yeux fouillaient le matelas cotonneux qui s’étirait paresseusement, révélant, de temps à autre, au détour de petites nues pommelées, l’abîme insondable d’un ciel d’azur. Les nuages, cabotins facétieux, offraient au regard, le spectacle sans cesse renouvelé de métamorphoses fantastiques. Anne reconnut tour à tour, les longues oreilles d’un lièvre, puis la trompe d’un éléphant qui s’enroula autour de la queue d’un chat géant. Elle sourit, fascinée par cet univers merveilleux, heureuse de fixer son attention sur des lignes, des reliefs, des reflets de lumière, telle une promeneuse admirant une exposition d’art contemporain, où, comme une évidence, toute chose est à sa place. Elle se laissait gagner par l’instant présent, fuyant résolument toute pensées anxiogènes, ancrées à Saint Antonin, derrière elle ou à Rome, dans un futur immédiat. Et, peu à peu, une douce sérénité l’enveloppait dans ses plis soyeux.
Par réflexe, mue par un désir soudain de toucher le cocon mousseux, elle tendit la main qui se heurta à la vitre froide, la ramenant sans ménagement, à la pesante réalité.
Son esprit retourna aussitôt dans la maison de Jeanne, inconnue et pourtant étrangement familière. Elle s’était retrouvée seule en compagnie du notaire et d’un commissaire- priseur, aucun autre héritier n’ayant jugé opportun de se déplacer pour l’occasion. Mentalement, elle caressa à nouveau le bois blond de la commode de la chambre, délicatement patiné, s’attarda sur la courbe du ventre de la fière horloge, pleine du temps à jamais arrêté. L’odeur d’encaustique incrustée dans le bois de la lourde table en chêne la submergea soudain, se mêlant subtilement à celle du papier jauni des cahiers d’écoliers et d’anciens livres de classe. Quel n’avait pas été son étonnement de découvrir que la maîtresse des lieux avait été aussi maîtresse d’école! Une consoeur, une collègue avait vécu dans cette maison regorgeant de livres de toutes sortes, certains gainés de cuir brun, qu’on devinait précieux, d’autres, cartonnés, plus ordinaires.
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Sa part d'ombre (2013)
« Des amies très proches qui connaissent tout l’une de l’autre ! » C’est ce que pensait Anne avant l’accident de la route qui laisse Diane entre la vie et la mort, et qui se révèle ne pas en être un.
Quel secret cachait donc Diane qui semblait jouir de la vie sans retenue ? Que dissimule sa part d’ombre ? Anne veut chercher les raisons qui ont poussé son amie à vouloir en finir aussi brutalement, sans aucune explication pour elle. Patiemment, méthodiquement, au fil de ses recherches, elle va enfin trouver, découvrir une autre Diane et comprendre.
Avec Sa part d’ombre, Muriel Batave-Matton nous permet de retrouver les personnages déjà rencontrés dans Les tilleuls mentent et Et tout ça pour ça !.
L’écriture reste dense, rythmée et soignée. Le lecteur est tenu en haleine jusqu’au bout. Ce troisième roman est marqué par une analyse psychologique structurée qui conduit l’auteure à décrire minutieusement les états d’âme de ses personnages.
A partir de ce troisième opus, mon écriture change, incontestablement et devient plus intime. Contrairement à ce que le titre laisse entendre, ce récit est un hymne à la vie. C’est sans doute le récit qui me ressemble le plus.
Publié le 20/09/2013 (La Dépêche du Midi)
C’est devenu le rendez-vous de la rentrée d’automne ! Muriel Batave-Matton nous propose cette année encore un roman à sa façon : il s’agit de «Sa part d’ombre…». Pour ses – déjà – fidèles lecteurs, l’auteure, également enseignante de lettres dans un collège d’Albi, fait revivre les personnages de ses précédents romans. On y retrouve Anne, Diane, Chloé… Comment peut-on se croire si proche de son amie et en découvrir, au fil d’un destin tragique, le véritable visage? Après «les Tilleuls mentent» et «Et tout ça pour ça !», l’intensité des sentiments et la force des relations humaines s’affirment sous sa plume. «Chacun de nous a des épisodes romanesques de sa vie à faire partager. Lors des séances de signatures pour les deux premiers livres, j’ai eu des échanges touchants avec les gens. Au point, pour certains, d’avoir trouvé dans leur lecture un écho à leur propre histoire… Tant que j’aurai cette envie d’authenticité, de proximité, j’aurai des histoires à raconter ! Je suis d’ailleurs en train de travailler à la suivante …». Bien sûr, l’envie ne suffit pas : Muriel Batave-Matton a également une capacité de travail étonnante, qui lui permet de mener de front ses tâches d’enseignante, de correctrice, de professeur référent pour «le journal du lecteur» sur l’académie… ce qui la fait intervenir aussi hors région, et même au-delà des frontières ! Transmettre, toujours, avec talent et générosité, et avec cette présence qui la caractérisent. Pour la retrouver , une signature est programmée à la librairie Guillot à Albi, le 11 octobre prochain, entre autres rendez-vous. A suivre !
Les yeux fermés, elle sentait sa main sur son ventre, son regard posé sur elle. Elle tourna légèrement la tête vers lui, acceptant cette nouvelle caresse, s’abandonnant en confiance.
La soirée avait tenu ses promesses, de séduction, de mystères et de sensualité. Elle était à présent comme un animal repu, apaisée, reconnaissante. Elle lui sourit et la main remonta vers ses seins, effleurant sa peau comme une réponse. L’obscurité, qu’elle maintenait à dessein, lui donnait la sensation de ralentir le temps de leur rencontre, de la la connaissance de l’autre. Elle savait, instinctivement que lui aussi gardait les yeux clos et savourait ce moment d’exploration, de découverte de l’intime. Ils avaient dépassé l’attirance physique, superficielle et condamnée à l’éphémère. Cette envie, à présent, de s’écouter, ce désir de profondeur, prolongeait leur échange épistolaire sur la toile où ils s’étaient réciproquement beaucoup livrés déjà, dans une sorte de tourbillon bienheureux. Une envie de savoir avant de se voir. Envie d’accéder à l’autre jusque dans l’abîme.
Elle posa sa main sur la sienne comme pour l’assurer de sa confiance. Jamais encore elle n’avait éprouvé une telle sérénité, l’impression de s’abandonner ainsi à la vie.
Sa part d’ombre- Muriel Batave-Matton
Les Editions du Panthéon
Sculpture « Couple enlacé » de Natacha Mondon
L’eau s’écoulait sur son corps, douce et enveloppante, se mêlant à ses larmes qu’elle ne retenait plus et qui libéraient, d’un coup, des mois de tensions, de cauchemars, de douleurs intérieures lancinantes. Il lui fallait à présent, imaginer froidement sa journée avec les autres, sans Diane, mais autour d’elle, réinventer un monde qui jamais plus, désormais, ne serait le même. Elle laissait l’eau la caresser, l’aider à effectuer la transition entre le rythme mou et hésitant de l’éveil et l’agitation qui allait suivre, inévitablement, et la livrer à un futur incolore qu’elle osait à peine esquisser. Elle mesurait l’effort que lui demanderait, tout à l’heure, d’être disponible aux autres alors qu’elle était en dialogue avec elle-même.
Mais peu à peu, la douche bienfaisante la recentrait sur une infinité de petites sensations dans des gestes quotidiens, ordinaires, l’éloignant d’un néant abyssal dangereux. Il lui semblait redécouvrir, au fil de l’eau, la vue, l’ouïe, l’odorat et le toucher et renaître au monde. Cette pensée, jaillie soudain de l’accumulation d’une multitude d’émotions minuscules et confrontée à la mort de Diane, la laissa quelques secondes en apnée, à la fois incrédule et désarmée.
Elle tourna enfin le robinet, passa ses deux mains à plat sur son visage puis sur ses cheveux mouillés qu’elle lissa doucement, goûtant encore quelques instants la chaleur de l’étuve. Puis elle s’empara prestement d’un drap de bain dont elle s’enveloppa avec un soin presque maternel. Instinctivement, elle éprouvait la nécessité de ne pas malmener son corps meurtri qu’elle sentait sans défense et prêt à défaillir. Par le passé, elle avait déjà été confrontée à des événements pénibles et particulièrement douloureux qui l’avaient laissée au bord de l’abîme, dépendante et vulnérable. Elle avait réussi à surmonter ces épreuves par un long travail sur elle-même, une introspection impitoyable qui s’était révélée finalement salvatrice.
Elle entra dans sa chambre pour s’habiller et avisa sur la table de chevet, le dernier roman de Douglas Kennedy qu’elle avait commencé la veille au soir. Une phrase lui revint brusquement en mémoire: » A quel instant « pas maintenant » se transforme en « jamais »?… Elle avait longuement médité cette question sur le coup, l’appliquant à ses propres choix de vie, à tous les projets qu’elle avait différés parce que ce n’était pas le moment et qu’au final, elle n’avait jamais concrétisés. »
« Sa part d’ombre », Muriel Batave-Matton.
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Et tout ça pour ça ! (2012)
Avec le soutien de deux amies célibataires, Chloé décide de rompre enfin sa solitude. Jeune professeur de Physique et mère de deux fillettes, elle prend conscience du désert affectif dans lequel elle s’est enfermée après une séparation douloureuse d’avec son mari.
Au gré des rencontres, construites avec Internet ou fortuites, elle est conduite à faire face à des situations, tour à tour cocasses, décevantes, passionnées. Ses amies ne manquent pas de les commenter avec une verve typiquement féminine, non dénuée d’humour et de lucidité.
Une envie joyeuse de renouer avec le monde et de coller à une actualité souvent pathétique. L’occasion aussi de brocarder gentiment les hommes avec lucidité et humour.
– Mmmm…Remarque, tu n’es pas parfaite non plus, insista la bête perfide. Même si tu as encore de beaux restes, je te rassure. Et, puisque tu abordes le sujet, il te faut maintenant rédiger ton profil…
– C’est vrai concéda Chloé en soupirant. D’abord, je tiens à être franche: je suis divorcée et j’ai deux enfants.
– Fais quand même un effort pour ne pas les traumatiser!
– Je le dis que je suis enseignante? Non. Il vaut mieux pas. Ils vont traduire « chiante ». Pour peu qu’ils aient gardé de mauvais souvenirs de l’école… Bon, je vais seulement dire « fonctionnaire »…
– Je ne sais pas si c’est vraiment une meilleure idée. Ca exclut tous les mecs qui bossent dans le privé et qui détestent les « planqués » comme ils disent…
– Côté caractère, continua Chloé sans se soucier des commentaires acerbes de son vis-à-vis, je vais mettre « enjouée et dynamique ». C’est bien, ça. Je sais au moins une chose, c’est que les hommes ont horreur des femmes qui font la tête tout le temps. Et puis, c’est vrai que j’aime bien rire et que j’ai de l’humour, dit-elle en se trémoussant, contente d’elle-même.
– Ton humour, tu ne l’as pas trop montré quand j’ai maculé la couette de traces de boue en revenant de ma promenade nocturne, l’autre matin.
– Tu ferais bien de ne pas insister sur cet épisode, lui lança Chloé en la fusillant du regard, sinon, il se pourrait que je t’interdise de chambre!
La chatte opta aussitôt pour un silence prudent, réservant la causticité de ses remarques à un moment plus propice. Le grand stratège sait reconnaître ses erreurs.
– Côté physique, je pourrais dire « physique agréable »…Non. Ils vont traduire » bonne grosse, pas repoussante »…Je pourrais alors tenter le « On me dit jolie »… Ce n’est pas mal, ça…
– Je dis que je suis coquette? Ca fait un peu gourgandine! Non. Je vais mettre « élégante » , comme ça, exit les beaufs!
– Logique imparable!
– Et enfin, « naturelle », « simple », « douce » Important, ça aussi! Ils sont tous à la recherche de leur mère… »Timide », « réservée »…
– Si je peux donner mon avis, avança timidement la chatte, je ne suis pas certaine que tous ces adjectifs aillent forcément ensemble.
– T’occupe!
-« Femme libre »? Je vais leur faire peur en disant ça. Ils vont s’imaginer une suffragette bolchévique, le couteau entre les dents et risquent de craindre pour leur virilité. Et puis, suis-je vraiment une femme libre? Qu’est-ce qu’une femme libre?
– Peut-être que tu pourrais te pencher sur cette question hautement philosophique à un autre moment, suggéra Frimousse avec une certaine lucidité.
– T’as raison. Il vaut mieux que je laisse tomber. Bon, ben, voilà. J’ai tout, il me semble. Je vais maintenant rédiger un petit mémo à l’intention de Diane pour lui demander ce qu’elle en pense.
– T’as pensé au pseudo si on t’en demande un?
-Ah non. Tu n’as pas tort. Qu’est ce que je pourrais prendre? Que dis-tu de Candy, puisqu’il paraît que je suis un peu trop fleur bleue?…
– Mouais… C’est toi qui vois.
– Tout juste Auguste. Cette fois, c’est parti, je rédige mon message pour Diane! Et je crois que je vais essayer le site où j’ai repéré pas mal de professions libérales et de cadres. Cela m’évitera peut-être de tomber sur des hommes des cavernes!
– Les apparences! Toujours les apparences! Parfois, le chat sauvage a du bon, se prit à rêver Frimousse en fermant les yeux sur des souvenirs troublants.
La réponse de Diane ne se fit pas attendre. Le portable de Chloé vibra moins d’un quart d’heure après l’envoi du mail.
– C’est très bien tout ça! Tu as mon feu vert! Et tu peux à présent aborder la phase deux.
– Que veux-tu dire?
– Ma grande, expliqua Diane doctement, le recours aux sites de rencontre, c’est un peu comme la pêche. 1- Tu appâtes. 2- Tu patientes et attends que ça morde. 3- Tu ferres!
« Et tout ça pour ça! » – Muriel Batave-Matton-
(dessin humoristique d’Antoine Chéreau tiré de son album, Du moment qu’on s’aime!)
_____
Son regard se fixa soudain sur Frimousse, le dos rond, en appui sur ses deux pattes arrière, prête à bondir sur une proie rendue pourtant inaccessible par la présence de la vitre.
– Non mais, tu n’as pas honte de vouloir t’en prendre à ces pauvres oiseaux transis de froid, alors que toi, tu jouis de la tiédeur confortable de la maison?
– Nullement, lui rétorqua la chatte sans même lui accorder un regard, trop absorbée par l’objet de son plaisir. Je ne vois pas en quoi je devrais me sentir coupable de simplement fantasmer! Les hommes le font bien, eux! Et, toi-même, tu ne t’en prives pas, si je ne m’abuse… As-tu honte, toi, de rêver à un homme idéal, une situation troublante, nourrie de souvenirs, de songes délicieux, bravant l’interdit et la pudeur?
Chloé considéra un instant la chatte en se mordant la lèvre puis tourna les talons pour sortir de la cuisine, au moment où quelques coups frappés à la porte, prévenaient de l’arrivée d’un visiteur inopiné. Elle fut sidérée de se retrouver face à un somptueux bouquet de roses rouges, digne d’un plateau hollywoodien, brandi par un jeune livreur hilare.
– C’est pour moi? parvint-elle à articuler, le premier instant de surprise passé.
– Je crois bien, oui, Madame. C’est bien l’adresse et le nom qu’on m’a donnés.
– Mais qui peut bien m’envoyer un tel bouquet?
– Ah, je ne sais pas, Madame. Moi, je ne fais que livrer. Mais je peux vous dire quand même que ça doit être quelqu’un qui vous aime drôlement, se permit-il d’ajouter avec une gouaille rafraîchissante, parce qu’au prix où sont les roses en ce moment, je peux vous dire qu’il y en a pour de l’argent!
Chloé, toute rougissante, se saisit de la brassée de fleurs qui exhalaient un parfum subtil. Comme la fois précédente, aucune carte n’accompagnait le bouquet. Elle pénétra à nouveau dans la cuisine et se dirigea vers l’évier, quand son regard croisa celui de Frimousse:
– Troublant, n’est-ce pas, d’imaginer l’homme qui peut être derrière ces envois? Plus envoûtant encore de divaguer sur les raisons de ces …hommages, feula la chatte, les yeux mi-clos. »
« Et tout ça pour ça! » – Muriel Batave-Matton
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Les tilleuls mentent... (2011)
Jeune universitaire, Sébastien a tout pour réussir et croquer la vie à pleines dents. Quelle mouche le pique alors de vouloir s’installer seul, dans la campagne corrézienne avec son chien et sa chatte, insensible aux interrogations et aux remarques de ses amis ?
Mon premier livre. Une histoire toute simple, gaie et tendre, chargée d’amour et de compassion. Le sac trop lourd que vient poser Sébastien au fin-fond de la Corrèze, c’est évidemment le mien. J’ai commencé à écrire après une grande douleur, pour ne pas sombrer. Ce premier récit est un cri dans le silence et le signal d’une renaissance.
Allongé sur le dos, pressant d’une main Gaëlle contre lui, il contemplait le plafond blanc de la chambre et s’arrêta un instant sur une petite araignée qui tissait patiemment sa toile dans un coin, à l’abri des regards importuns. Un long fil d’argent dans le rayon de soleil déclinant de cette fin d’après-midi paisible, témoignait de la richesse du travail de cette petite Pénélope besogneuse.
Du doigt, la jeune femme dessinait des coeurs sur son torse, jouant avec ses poils. Il était bien et aurait tout donné pour arrêter le temps, le figer sur cet instant.
Il se tourna sur le côté, face à elle, la tête appuyée sur son bras, et plongea dans ses yeux, caressant délicatement sa tempe, effleurant sa paupière.
– La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur, un rond de danse et de douceur…Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu, c’est que tes yeux ne ‘ont pas toujours vu…
– C’est beau, murmura Gaëlle. C’est de toi?
– Oh, j’aimerais beaucoup, mais malheureusement, non, reconnut Sébastien, en laissant son doigt descendre sur son nez, s’attarder sur ses lèvres.
– Comme le jour dépend de l’innocence, le monde entier dépend de tes yeux purs et tout mon sang coule dans leurs regards, poursuivit-il. C’est de Paul Eluard. Oui, c’est certainement le plus beau poème d’amour qui soit… Sans ton regard, sans ta présence, je n’existe pas. Et depuis que tu es loin, je ne vis plus vraiment. Tu me manques terriblement, avoua-t-il.
Dessin de Man Ray illustrant Les mains libres de Paul Eluard.
Bibliothèque de La Pléïade – Tome I
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